Si le titre de l’article est effectivement tourné vers l’avenir, le sujet des legaltechs ressort bien de l’actualité.
Le monde juridique a cette particularité d’être plutôt réticent aux innovations technologiques. Pour ne pas lui jeter la pierre, on peut aisément reconnaître que la recherche scientifique et mathématique est plus apte à accepter et même encourager l’émergence de technologies nouvelles – les chercheurs, par exemple, ont tout à gagner en automatisant certaines tâches chronophages pour mieux se concentrer sur d’autres, plus complexes et nécessitant une intervention humaine.
Dans le droit, ces start-up sont apparues il y a environ six ans, en proposant d’abord des services destinés au grand public en tout genre : information juridique, rédaction automatisée d’actes notariés, comptabilité, mise en relation avec les professionnels… Depuis chez soi, le gérant d’une entreprise peut effectuer bon nombre de procédures usuellement longues et coûteuses par le biais de ces sites internet comme Legalstart, CaptainContrat ou encore RocketLawyer.
Je n’évoquerai pas les « portails » internet classiques édités par les grandes maisons d’édition juridiques (Dalloz.fr, Lexis 360 ou Lamyline) qui sont de fait des outils réservés aux professions juridiques de par leur tarif annuel mais aussi par leur complexité d’utilisation.
La première « génération » de ces services juridiques représente à première vue une menace directe et donc un manque à gagner pour beaucoup de professions juridiques.
C’est une évolution somme toute logique, libérant les notaires et les avocats de tâches peu rentables car chronophages et sans grande valeur ajoutée. Si les avocats d’aujourd’hui ont, pour certains, beaucoup de mal à accepter qu’un service informatique puisse les remplacer dans la rédaction de contrats, leurs successeurs n’auront aucune difficulté à laisser ces entreprises prendre des parts de marché ; ils auront grandi avec ces technologies et les considéreront certainement comme le fruit d’une évolution de la profession voire indispensables. Non seulement car elles ne permettent pas de se passer totalement des conseils d’un avocat – le client n’accordant jamais pleinement sa confiance en l’algorithme, il se tourne très souvent vers un professionnel pour faire vérifier le résultat, bien qu’il n’y soit pas obligé – mais aussi car cette évolution apporte un challenge nouveau : celui du développement de la relation client.
Les avocats de demain ne lutteront plus contre les legaltechs, ils travailleront avec.
Le deuxième mouvement est d’autant plus intéressant, car on transite d’un service « passif » à un service « actif », capable de délivrer une analyse complexe et poussée, en traitant une quantité de données pharamineuse (le fameux big data). C’est aussi ce qu’on appelle la justice prédictive. Les services comme Doctrine.fr, Hyperlex.ai, Predictice, permettent d’obtenir un coup d’œil rapide sur une situation juridique donnée. Vous l’aurez compris, ces services sont orientés BtoB (à destination des professionnels du secteur) et n’ont donc pas vocation à s’attaquer au gagne-pain des avocats et des juristes d’entreprise, mais plutôt de les assister dans leur travail en leur apportant une dimension nouvelle.
Ces entreprises proposent matériellement une forme d’interprétation de la justice, qui permet de prévoir et d’estimer ; c’est ensuite au rôle de l’avocat de peser le pour et le contre (avec son instinct, son expérience – bref ce qui fait de lui un Homme ! ).
Dans une économie où tout doit aller de plus en plus vite, délivrer un résultat en un temps moindre, c’est aussi cela la valeur ajoutée.
Olivier Chaduteau, co-fondateur Day One Consulting, La Gazette du Palais, 24 janv. 2017, p.9
L’avocat n’est pas une espèce en voie de disparition
Certes, dans dix ans, le travail d’un avocat n’aura plus grand-chose à voir avec celui d’aujourd’hui.
Selon moi, le travail d’un avocat sera au contraire encore plus profond qu’autrefois : en plus de son rôle de conseil et de représentation de son client, il gagnera celui d’analyste, presque de statisticien ! La célérité des informations délivrées par l’algorithme est importante, mais le tri et l’analyse de l’avocat l’est d’autant plus.
Les questions que l’avocat de demain devra se poser sont : « Quel argument est le plus pertinent, dans quel secteur, devant quelle juridiction ? »
Voila donc une preuve supplémentaire que les legaltechs ne s’opposent pas dichotomiquement aux avocats, bien au contraire, la capacité d’analyse et l’expérience de l’avocat sont mises à contribution par les legaltechs.
Si la rédaction d’actes ou l’offre de conseils juridiques peuvent être automatisées, elles ne peuvent pas encore l’être totalement. Une partie des tâches des professionnels du droit échappe donc à l’automatisation, ce qui leur laisse d’importants leviers de rémunération.
Rafael Amaro, Maître de conférences à l’Université Paris Descartes, Dalloz IP/IT 2017 n°3, p.162
And that’s the way it is folks.*
Là où beaucoup voient en ces services un moyen de « se passer » des avocats, d’autres dont je fais partie, préfèrent y voir une évolution positive et souhaitable du monde dans lequel nous vivons.
Premièrement car nous nous judiciarisons de plus en plus – à l’instar de ce que l’on peut observer aux États-Unis. Il y a quinze ans, il était improbable de voir des utilisateurs attaquer en justice leur opérateur téléphonique pour une surfacturation, chose désormais possible. On ne pourrait pas envisager un mode de facturation, de travail, de recherche et de documentation « à l’ancienne » avec cette multiplications des recours au droit. Ce serait intenable à la fois pour le justiciable et pour les professionnels du droit.
Deuxièmement car la banalisation de certaines tâches à faible valeur ajoutée (formulaires en tout genre, génération de statuts de société ou d’association, etc.) favorisera les transactions et donc la circulation des richesses.
Un retour en arrière est fort improbable, et n’est par ailleurs pas souhaitable.
Le récent épisode de confinement a inévitablement entraîné une transformation numérique accrue pour beaucoup d’entreprises, et les métiers du droit n’y ont pas échappé. Les signatures électroniques, le télétravail, les téléconsultations, autant de pratiques qui répondent à un besoin non négligeable.
Finalement, le « maillon faible » de cette transformation, ce sont ces administrations pivot qui ne sont pas à la hauteur des standards de demain et entraînent donc des lenteurs mais surtout des limitations au développement du numérique dans le droit. Les avancées des legaltechs seront profitables à l’ensemble de la « chaîne du droit » si les administrations font usage de leur pouvoir d’influence sur le secteur.
Pour finir sur une note positive, la France est leader mondial en matière de legaltechs. Soyons fiers de notre savoir-faire et continuons de stimuler le potentiel de nos excellents professionnels du droit et ingénieurs.
*C’est comme ça, et pas autrement.